La transmission écrite de la pratique du « débriefing francophone » depuis sa naissance jusqu’à nos jours - 29/08/24
The written transmission of the practice of “French débriefing” from his inception to the present day
Résumé |
Contexte |
Puisque nous en parlons, le « débriefing francophone » existe. Mais quelle est, ou quelles sont, sa (ou ses) définition(s) précise(s) et consensuelle(s) ? Comment ce débriefing est-il né et, surtout, comment se serait-il modifié jusqu’à nos jours ? Comment les notions conceptuelles qu’il recouvre se sont-elles développées ? Quels sont ses procédés pratiques et les mécanismes thérapeutiques y étant mobilisés afin de spécifiquement prendre en charge le trauma et ses conséquences cliniques ? Et, enfin, existe-t-il des travaux scientifiques évaluant l’efficacité de ce cadre de soins ? Les sciences du langage, pour autant qu’elles soient inconnues à la majorité des psychologues comme des psychiatres, offrent pourtant un espace de réflexion inédit. Nous présentons dans cet article une analyse linguistique du corpus d’articles scientifiques qui ont fait naître, puis évoluer sur trois décennies, ce que nous appelons toujours aujourd’hui le « débriefing francophone ».
Matériels et méthodes |
Nous avons identifié les articles de langue française publiés dans les revues de médecine et de psychologie entre 1990 et 2019 à partir de l’inscription du mot-clef « débriefing » dans cinq moteurs de recherche (PubMed, Google Scholar, Science Direct, PsycInfo, Ascodocpsy), ainsi que dans les thésaurus de la bibliothèque interuniversitaire de médecine et de la bibliothèque centrale du service de santé des armées. La bibliographie a été complétée par les archives personnelles de deux médecins généraux anciens chefs de service de psychiatrie militaire, puis incrémentée à partir des références citées dans les travaux primo-sélectionnés. Après lecture intégrale, seules sont finalement retenues les publications évoquant le « débriefing francophone » sur plus de 100 mots. Les données extraites associent le nombre d’articles par année de publication, les revues, les auteurs (équipe de recherche, lieu d’exercice). Les titres, résumés et corps des textes ont été convertis en format HTML pour examen par trois logiciels d’analyse du discours.
Résultats |
Sur trois décennies, 122 articles s’intéressent au débriefing francophone, soit en moyenne un peu plus de quatre par an. Les articles destinés à la conceptualisation représentent ainsi près d’un tiers du total, à équivalence de ceux traitant de la pratique en situation réelle ; les espaces généralistes et organisationnels apparaissent surreprésentés comparativement aux études scientifiques. Insistons sur la présence de trois articles dédiés à l’éthique (en 2004 et 2009). Un seul travail s’intéresse à la transmission pédagogique par une méthode originale de simulation en santé (2016). Nous avons résumé l’organisation consensuelle du débriefing francophone ainsi que son déroulé pratique. Le nombre d’articles abordant précisément les mécanismes thérapeutiques correspond à moins de 10 % des références sélectionnées et peut se résumer à moins de vingt propositions que nous citons.
Discussion |
La question de la transmission, verbale ou écrite, prend un sens singulier dans le domaine du traitement des traumatismes psychiques, troubles par essence marqués d’indicibilité. Comment le praticien pourrait-il témoigner d’un savoir de l’irreprésentable ? Les publications dans les revues spécialisées nous renseignent sur l’évolution de l’état de l’art – ou du moins sur ce que les auteurs en disent –, et de la transmission des savoirs avec pour but, in fine, d’être utiles à la pratique de terrain. Mais nous avons mis en évidence que le langage théorique sur le trauma risque, en lui-même, dans sa structure lexico-sémantique, syntaxique et pragmatique, de porter les symptômes traumatiques qu’il souhaite pourtant traiter ! Peut-être faut-il ici voir la cause de l’absence d’études de degré de scientificité suffisant permettant d’évaluer précisément la pratique du débriefing francophone et en particulier de mettre en évidence ses mécanismes thérapeutiques ?
Conclusion |
L’écrit reste un vecteur majeur de la transmission des savoirs, mais cet écrit, comme son étude, évoluent nécessairement en fonction d’un contexte sociétal, d’une part, et doit se confronter aux autres sources du savoir, notamment orales, d’autre part. La méthodologie d’analyse de corpus de la littérature que nous avons menée se verra bientôt supplantée par les possibilités d’analyse automatique du langage développées par les intelligences artificielles. Au-delà de l’analyse de corpus théoriques, la psycholinguistique contemporaine nous offre aussi la possibilité d’identification, dans les discours des patients, de linguomarqueurs diagnostiques plus sensibles et spécifiques que les échelles métriques ou entretiens structurés basés sur les classifications internationales. De nouvelles entités psycholinguistiques sont amenées à voir le jour, telles le Syndrome Psycholinguistique Traumatique, qui rend compte du trauma par l’étude des dimensions lexico-sémantiques, syntaxiques et pragmatiques du langage des patients blessés psychiques. Afin d’aider au diagnostic et suivre l’évolution des symptômes, il existe déjà des logiciels qui permettent d’analyser le discours du patient en temps réel pendant les consultations ! Tout en nous confrontant à de vertigineuses questions anthropologiques, ceci nous conduira à mieux identifier les souffrances psychiques ainsi qu’à mieux comprendre les mécanismes psychothérapeutiques efficaces.
Le texte complet de cet article est disponible en PDF.Abstract |
Background |
For the very reason we are talking about it, there is such a thing as “French débriefing”. But what is, or are, its precise and consensual definition(s)? What are the origins of this form of débriefing and, more importantly, how has it evolved to the present day? How have the conceptual notions it covers developed? What are its practical processes and the therapeutic mechanisms used to specifically deal with trauma and its clinical consequences? And finally, are there any scientific studies that evaluate the effectiveness of this framework for treatment? Although the majority of psychologists and psychiatrists alike are not well-versed in the sciences of language, they never-the-less provide an unprecedented arena for reflection. In this article, we present a linguistic analysis of the body of scientific papers which, over three decades, inspired the inception and subsequent evolution of what we still call today “French débriefing”.
Materials and methods |
We identified French-language articles published in medical and psychological journals between 1990 and 2019 by entering the keyword “débriefing” in five search engines (PubMed, Google Scholar, Science Direct, PsycInfo, Ascodocpsy) as well as in the thesauri of the interuniversity library of medicine of Paris and the central library of the French army health service. This bibliography was supplemented by consulting the personal archives of two general medical officers, former heads of military psychiatric services, then further increased on the basis of the references cited in the primary works selected. After a complete reading, only those publications that contained a mention of “French débriefing” of more than 100 words were finally retained. The extracted data combines the number of papers per year of publication, journals, authors (research team, place of practice). The titles, abstracts and the full texts of the articles were converted to HTML format to allow examination by three discourse analysis software programs.
Results |
Over three decades, 122 papers focus on French débriefing, or an average of just over four per year. Articles devoted to conceptualization account for almost a third of the total, equivalent to those dealing with practice in real-life situations ; generalist and organizational areas appear to be over-represented compared to scientific studies. We emphasize the presence of three articles dedicated to ethics (in 2004 and 2009). Only one work focuses on educational transmission using an original healthcare simulation method (2016). We have summarized the consensual organization of débriefing in French as well as its practical application. The number of papers dealing specifically with therapeutic mechanisms corresponds to less than 10 % of the selected references and can be summarized in fewer than twenty proposals that we cite.
Discussion |
The question of transmission, whether verbal or written, takes on a singular meaning in the field of the treatment of psychological trauma, disorders that by their very nature are marked by indescribability. How can the practitioner demonstrate knowledge of the unrepresentable? Publications in specialized journals provide us with information about the evolution of the state of the art - or at least what the authors say about it - and the transmission of knowledge with the aim, ultimately, of being useful to field practice. But as we have highlighted, the theoretical language on trauma risks, in itself, in its lexico-semantic, syntactic and pragmatic structure, carrying the very traumatic symptoms that it wishes to treat! Perhaps this is the reason for the absence of sufficiently scientific studies that make it possible to precisely evaluate the practice of French débriefing and in particular to highlight its therapeutic mechanisms?
Conclusion |
Writing remains a major vector for the transmission of knowledge, but this writing, like the study of it, necessarily evolves as a function of societal context, on the one hand, and must be confronted with other sources of knowledge, particularly oral, on the other hand. The literature corpus analysis methodology that we have carried out will soon be superseded by the possibilities of automatic language analysis developed by artificial intelligence. Beyond the analysis of theoretical corpora, contemporary psycholinguistics also offers us the possibility of identifying, in patients’ discourse, diagnostic linguomarkers that are more sensitive and specific than metric scales or structured interviews based on international classifications. New psycholinguistic entities are likely to emerge, such as the “Traumatic Psycholinguistic Syndrome”, which accounts for trauma by studying the lexico-semantic, syntactic and pragmatic dimensions of the language of mentally afflicted patients. In order to help diagnose and monitor the evolution of symptoms, software already exists that is capable of analyzing the patient's speech in real time during consultations! While confronting us with dizzying anthropological questions, this will lead us to better identify psychological suffering as well as to better understand effective psychotherapeutic mechanisms.
Le texte complet de cet article est disponible en PDF.Mots clés : Débriefing, Évaluation des psychothérapies, Marqueurs linguistiques, Psycholinguistique, Syndrome psycholinguistique traumatique, Trouble de stress post-traumatique
Keywords : Debriefing, Evaluation of psychotherapies, Linguistic markers, Post traumatic stress disorder, Psycholinguistics, Traumatic psycholinguistic syndrome
Plan
☆ | Texte présenté à l’occasion du 180e anniversaire des Annales Médico-Psychologiques à l’Académie Nationale de Médecine le 16 novembre 2022. |
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